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Exposition :
« Ténèbres ou Lumière »
à Lyon & Brignais
A l'occasion du Carême 2022, la CDAS (Commission diocésaine d’Art sacré) de Lyon invite à une proposition artistique intitulée « Ténèbres ou lumière » autour des œuvres de deux artistes, Christian Oddoux et Patrick Marquès, présentées dans trois églises du diocèse de Lyon : la basilique Saint-Bonaventure et la chapelle de l’Hôtel Dieu à Lyon, ainsi qu’à l’église Saint-Clair à Brignais.
A découvrir jusqu'au 18 avril 2022 !
Les informations pratiques dans l'article ci-dessous
Bois, branches, billes, Tronc ...
Bois, branches, billes. Tronc. Tous ces états de l’arbre. Le tout de l’arbre cosmique. Cette figure du bois paternel. Hêtre, chêne, noyer, cerisier… Le corps martial et capital de l’arbre. Sa royauté. La sculpture de Christian Oddoux se saisit du totem terrassé. Elle affronte la dépouille du Dieu, son déchet craché. Souche à l’abandon et racine jetée. Moignon que la vermine fouit. Ainsi le sculpteur recueille les morceaux du roi mort. Il le dévêt de son armure d’écorce ou de ce qu’il en reste. Il l’extirpe de ses lambeaux de cuirasse. Car il y a quelque chose de souverain, de romain, dans certains bustes ou torses de Christian Oddoux. Poitrails de capitaines ou de prophètes. Surfaces bombées, altières, généreusement offertes aux flèches, aux lances, à la fulguration de fer. Pourfendre la cible sacrée à la hauteur de son défi.
Or, ce qui paraît sous l’écorce, c’est la pâte et la lumière du bois. Sa texture extraordinairement vierge. L’écorchement révèle cette fraicheur intacte, comme chair immaculée. Blondeur, rousseur, ocre clair.
Le sculpteur troue le totem, il taraude tronc et torse. IL invente des brèches, des caves dans ce bois christique. Il œuvre, il manœuvre dans les dédales du dedans. Il se fraie d’infinis passages. Sa main vivante taille des alvéoles, des niches, des crèches, des châsses, des ogives, comme des chambres maternelles. La poitrine paternelle de l’arbre se met à fourmiller de poches matricielles. Selon une modulation savante, la main dégage aussi des bosses, des bulles luisantes, des fuselages luxurieux et des gibbosités fécondes. La main troue et apaise, meurtrit et panse, creuse et comble. L’ondoyante main baroque incurve et galbe ce qu’elle évide, ourle son lacis de crevasses. Elle dessine des volutes dans les viscères de l’arbre. Elle répare et restaure ce qu’elle a percé, dans un même mouvement d’effraction et d’arabesques. Elle polit, elle lisse le carnage du bois ciselé.
Le Saint Sébastien de Christian Oddoux, à cet égard, est un tronçon équarri, pantelant. Arceau criblé de fers et de dards foudroyants. La main qui l’a ainsi émondé, va le poncer et l’assouplir en un travail intime, le franger de torsions, d’efflorescences et de plis. Il y a chez Christian Oddoux cette discrète ou puissante musicalité des plis, ce rythme dansé, né tantôt de la matrice du moignon, tantôt de la robe d’un tronc robuste et cambré. Un chant éclos dans les cryptes de la charogne ou du cœur de la bille compacte. Oui, un éventail d’échos musculeux, mélodieux. Des orgues se haussent à l’intérieur d’un tronc transformé en cartilage fluide, feuilleté et sonore. Le corps chaotique ne reste jamais à l’état de transe brute. Nulle sauvagerie frustre. La matière est lissée de toute aspérité jusqu’à la brillance d’un trésor dans les tripes. La voilà rendue douce comme une peau, blonde comme un daim d’amour, soyeuse, secrètement extatique.
Mais soudain, elle choit : ce baluchon de la chair du Christ, éteint, descendu de sa croix, dans les bras invisibles de sa mère. Pathétique est la mort de la transcendance abandonnée à son poids sans ressort.
Plus loin, le Christ s’écrase au sol et son bras se déchire sur des muscles et des nerfs de fer, de souffrance. Ailleurs, des fibres de métal articulent, telles des prothèses, des pièces de bois plus tendre. Une dureté semble jouer les intruses dans tout ce qui était sinueux, manié, palpé, comme si la sculpture de Christian Oddoux était ce louvoiement incessant et cadencé entre dureté et douceur, concave et convexe, armature et abandon, crucifix et mains de la compassion. Laisser le pas à une catégorie sur l’autre, c’est menacer l’art de maniérisme ou inversement de rigidité implacable et métallique. L’œuvre se fomente entre la force et la faiblesse, entre l’accroc, le clou, la cambrure et la caresse. Elle s’incarne dans cette crise des contraires, ce chatoiement du fer et de la chair. Dans leur révélation réciproque, ont lieu des retrouvailles et des recommencements vivants. Tant l’arbre-roi favorise, en son bois, les ramifications intérieures.
Patrick Grainville